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Une tumeur ovarienne chez une furette

Dr Sylvie Gasparoux

Dr Sylvie Gasparoux

Commémoratifs

Une furette de 6 ans ½ est référée fin octobre pour dépilations généralisées.  Elle est vaccinée contre la maladie de Carré. Elle est nourrie exclusivement à base de croquettes de bonne qualité pour chatons.  Elle est active et son appétit est conservé.

Elle a été acquise à l’age de deux mois auprès d’un particulier. Elle n’a pas été ovariectomisée, ni ovario hysterectomisée à la connaissance de la propriétaire. Et n’a jamais reçu d’implant à base de  desloreline (Suprelorin ®)

La propriétaire décrit que de temps en temps au fil des années, pendant quelques semaines d’affilée  la furette sent plus mauvais qu’à d’autres moments. Mais elle n’a jamais remarqué ni changement comportemental, ni augmentation de volume de la vulve.

Depuis trois années , tous les étés, elle fait une mue importante qui ne concerne que la queue. Elle perd ses poils entre le 15 août et le 8 septembre. Au 15 septembre tous les poils ont repoussé sans que la propriétaire ait consulté ni délivré aucun  traitement.

Cette année la mue a démarré comme d’habitude le 15 août sur la queue et  s’est étendue sur le tronc. Malgré un traitement a base d’un complexe vitaminique (Pet Phos ® spécial pelage) et de pipettes anti puces (Advocate®) il n’y a aucune amélioration notoire.

Observations : l’animal est normotherme, son score corporel est de 3/9, son poids de 670 g. Le poil est extrêmement clairsemé sur le tronc et la queue est totalement dépilée.  Le poil présent est flexueux et le sous poil a entièrement disparu. La peau ne présente pas d’excoriations. Elle n’est pas particulièrement fine à l’observation directe .

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La vulve est de taille normale. La palpation abdominale révèle une masse de grande taille et de consistance dense  en partie médiane.

Echographie :

 On observe une petite quantité d’épanchement péritonéal anéchogène. Une masse ovale hypoéchogène, discrètement hétérogène, de 2×3 cm, à contour net, est visualisée caudalement au rein gauche et à la rate.Elle est probablement d’origine ovarienne. L’utérus présente de multiples lésions kystiques. L’ensemble des noeuds lymphatiques abdominaux sont hypertrophiés (10 mm), hypoéchogènes, arrondis et entourés d’une stéatite modérée.

Les glandes surrénales sont ovales, d’échogénicité et  de taille et  normale (SG= 3,1mm ; SD= 1,7mm).

Les hypothèses diagnostiques sont : une tumeur ovarienne, une hyperplasie glandulo-kystique de l’utérus ou une lymphadénopathie inflammatoire ou tumorale.

Bilan hématologique :

Paramètres unités Valeurs usuelles Furette opérée
RBC globules rouges 1012/L 6.35-11.20 5.09
HC hématocrite % 37-55 23.4
HB hémoglobine g/dL 11-17 8.3
VGM volume globulaire moyen fL 45-55 46
TCMH teneur corpusculaire moyen hémoglobine pg 14-18 16.3
CCMH concent corp  moy en Hb g/dL 32-35 35.5
IDR indice de distribution des rouges % 19-25 16
Paramètres Valeurs usuelles Valeurs usuelles% Furette opérée Furette %
WBC globules blanc 109/L 2-10 3.53
neutrophiles109/L 0.62-3.3 30-60 1.66 47.1
lymphocytes109/L 1-8 35-60 1.09 30.9
monocytes109/L 0.18-0.9 4.4-6.6 0.4 11.3
éosinophiles109/L 0.1-0.6 2.6-3.6 0.34 9.6
basophiles109/L 0-0.1 0.2-1 0.04 1.1
PLT plaquettes 103/µL 270-880 256
Paramètres Normes Furette opérée
Glucose g/L 0.94-2.07 0.87
Urée g/L 0.210-0.945 0.442
Créatinine mg/L 4.0-9.0 5.4
Alat U/L 82-289 64
PAL U/L 9-84 41
PT g/L 52-73 57

Cytologie :

L’aspect du frottis sanguin confirme l’existence d’une probable anémie  peu ou non  régénérative,  associée à une thrombocytose marquée.   Une anémie liée à un hyper oestrogénisme est l’hypothèse de choix dans ce cas mais elle peut aussi être due à  des  micro saignements chroniques au niveau du tube digestif du fait de la thrombopénie.

La coagulation est testée sur tube sec par observation de la formation du caillot sanguin. Celui-ci se forme très rapidement. Il est décidé de pratiquer une laparotomie.

Anesthésie : midazolam 0.3mg/Kg IM,  butorphanol(  Butador ®) 0.1mg/Kg IM® relai isoflurane en anesthésie gazeuse.

Chirurgie : La laparotomie médiane par la ligne blanche ne présente pas de différence avec celle effectuée chez les autres carnivores domestiques. L’ovariohysterectomie permet l’ablation des ovaires et de l’utérus. L’ovaire gauche est fortement remanié (cf photo 2), l’ovaire droit est de taille normale. Les ganglions splanchniques sont visualisés et leur taille est augmentée.

La furette est placée en couveuse tempérée à 28 °C pour son réveil. Elle  reprend une alimentation normale 4 heures après la chirurgie. Elle est rendue à sa propriétaire le lendemain avec traitement amoxycilline-a.clavulanique (Synulox®) 12mg/Kg VO bid 6 jours.

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Histologie :

Le résultat de l’histologie confirme celui de la cytologie : tumeur ovarienne mixte stromale et musculaire lisse, arborant de nets critères de malignité.

Les tumeurs ovariennes sont cependant en général de bon pronostic dans cette espèce.

Toutefois dans son cas l’existence de nœuds lymphatiques hypertrophiés visibles lors de l’échographie est péjorative.

Suite chirurgicale :

Les poils commencent à repousser 15 jours après l’opération.

La photographie a été prise deux mois après l’opération. La furette a beaucoup grossi (880g) et présente un pelage d’hiver très fourni. (Photo3)

Le contrôle échographique réalisé lors de la visite deux mois après l’opération  montre que l’adénopathie abdominale s’est pas modifiée tant en echogénicité qu’en taille. Le parenchyme hépatique et les surrénales sont normales.

Discussion :

L’anémie :

Dans cette espèce l’ovulation  est  provoquée  par  le coït .  Si  la femelle  n’est  pas  saillie,  elle  restera  en  œstrus  durant  toute  la  saison  de  reproduction.

Le  taux  d’œstrogènes  demeure  élevé et provoque  une  anémie  aplasique par épuisement  de la  moelle  osseuse  d’où une anémie,  une thrombopénie et leucopénie(3,4,5).

Les  signes  cliniques de l’anémie aplasique ne s’expriment de façon flagrante qu’à  partir  d’un  hématocrite  inférieur  à  20% ou  des  plaquettes  inférieures  à  50  000/µL(5).Le pyomètre est une complication fréquemment rencontrée de par la stimulation oestrogénique exacerbée des glandes endométriales(2).

Le taux de mortalité est de 50 % des femelles en cas d’aplasie médullaire est de 50%(6).

Nature de la tumeur :

La plupart des tumeurs ovariennes ne conduisent pas à l’apparition de signes cliniques dans cette espèce(1,2,6). Les signes cutanés, semblables à ceux qu’on trouve lors d’hyperœstrogénisme, sont présents si la tumeur sécrète des hormones sexuelles. C’est le cas notamment des tumeurs du stroma et/ou des cordons sexuels, c’est-à-dire des tumeurs affectant les structures de soutien des ovaires(1,7).

Parmi elles, on peut citer les tumeurs des cellules de la granulosa. Ces tumeurs peuvent sécréter les mêmes hormones sexuelles que lors d’hyperœstrogénisme et d’hyperadrénocorticisme : l’œstradiol, la 17-hydroxyprogestérone et l’androstènedione (1,2,4) ou parfois seulement une augmentation de l’oestradiol (7).

Les tests statiques sanguins sont peu recommandés car les hormones surrénaliennes et leurs molécules régulatrices sont sécrétées de façon pulsatiles et selon de nombreux cycles physiologiques (nycthéméral, saisonnier..) (4). Le recours à des tests dynamiques est compromis par l’impossibilité actuelle de se procurer de l’ACTH.

Le dosage de l’œstradiol sanguin aurait été intéressant pour illustrer ce cas mais de peu d’intérêt pour la furette dans la mesure où nous n’aurions pas attendus les résultats pour l’opérer.

Conclusion :

Il  y a très peu de cas de tumeurs du tractus reproducteur décrits dans la littérature car la plupart des furets de compagnie sont stérilisés.Celles qui ont été décrites sont généralement des tumeurs des muscles lisses dont 75 % sont malignes bien qu’aucun cas de tumeurs  métastatiques n’ait été rapporté. La plupart des tumeurs ovariennes décrites ont été découvertes  de façon fortuite lors d’une laparotomie ou d’un examen échographique(1,6). Ce qui est particulier à ce cas  c’est que la furette n’était pas stérilisée et n’avait pas reçu de contraception et pourtant n’a jamais exprimé de chaleurs de façon notoire. Le suivi échographique devra inclure la surveillance des cortico surrénales du fait de l’ovariectomie de la furette.

Bibliographie :
  1. Lloyd M. Ferrets, health, husbandry and diseases. Blackwell science, London 1999, 67-77.
  2. Jaillardon L,  Rochel D, Delfau J,  Burger M, Siliart B, Exploration fonctionnelle des glandes surrénales chez le chien, le chat et le furet .Doi : 10.1016/S1283-0828(13)54558-3
  3. Bernard SL,  Leathers CW,  Brobst  DF  .Estrogen-induced  bone marrow depression in ferrets.- AM J VetRes, 1983, 44,657-661.
  4. Queensberry KE, Carpenter JW. Ferrets, Rabbits and Rodents. Clinical Medicine and Surgery. 2nd Saunders. 2004.
  5. Baudouin M. Les troubles endocriniens du furet (mustela putorius furo). Thèse vétérinaire Toulouse 2004.
  6. Schoemaker NJ. Ferrets : endocrine and neoplastic diseases In :  Keeble E., Meredith A, BSAVA Manual of rodents and ferrets, Editions BSAVA, 2009, 320-329
Patterson MM, Rogers AB, Schrenze MD, Marini RP, and Fox JG Alopecia attributed to neoplastic ovarian tissue in two ferrets. Comparative Medicine 2003. 53(2): 213-217.