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Le Carlin qui aimerait mieux respirer

Dr vétérinaire Esther MAGNIER, assistante d’imagerie médicale

Dr vétérinaire Anaïs COMBES, DipECVDI, PhD, EBVS European Specialist in Veterinary Diagnostic Imaging

 

Un Carlin, mâle entier de 3 ans, est référé pour dyspnée secondaire à un épanchement pleural par son vétérinaire. Il est dysorexique depuis 3 semaines puis anorexique depuis 3 jours.

Le patient présente une intolérance à l’effort. Il est alerte, mais présente une dyspnée expiratoire, des bruits de cornages, des bruits cardiaques assourdis et une discrète hyperthermie.

Ses bilans biochimique et hématologique montrent une anémie, une leucocytose neutrophilique, lymphocytaire et monocytaire.

Après une échographie FAST et la stabilisation de l’animal, des radiographies du thorax ont été réalisées (PHOTOS 1a et 1b).

Photo 1a : projection latérale droite du thorax

Photo 1b : projection ventrodorsale du thorax

Quelles anomalies radiographiques observez-vous ?  

Quelles sont les hypothèses diagnostiques ?  

Quelle prise en charge proposeriez-vous ?  

 


Quelles anomalies radiographiques observez-vous ? 

Les radiographies thoraciques (photos 2a et 2b) montrent une opacité tissulaire ventrale, masquant la silhouette cardiaque, des scissures interlobaires et un arrondissement des contours pulmonaires décollés de la paroi thoracique.  Ces lésions évoquent un épanchement pleural bilatéral modéré.

En région crâniale gauche, on observe une opacité tissulaire contenant de nombreuses inclusions d’opacité gazeuse compatible avec une opacification vésiculaire du lobe cranial gauche. La bronche souche du lobe cranial gauche est brutalement amincie et les bronches secondaires du lobe sont mal orientées.

La trachée est déviée vers la droite, cela peut être compatible avec un effet de masse ou bien une particularité anatomique de la race.

L’estomac est dilaté par du gaz.

En conclusion, nous observons une opacification vésiculaire et une malposition du lobe cranial gauche avec obstruction bronchique et un épanchement pleural bilatéral modéré.

Photo 2a : projection latérale droite du thorax montrant l’opacification vésiculaire du lobe cranial gauche (cercle bleu) et l’amincissement proximal de la bronche souche du lobe cranial gauche (flèche rose)

Photo 2b : projection ventrodorsale du thorax montrant l’opacification vésiculaire craniale gauche (cercle bleu), la déviation trachéale à droite (ligne rouge) et l’épanchement pleural (flèches vertes)

Quelles sont les hypothèses diagnostiques ?

Les images radiographiques sont pathognomoniques d’une torsion de lobe pulmonaire. Une pneumonie nécrosante parait moins probable.2

Les radiographies permettent de diagnostiquer une torsion de lobe dans 64% des cas 3. D’après les études, elles montrent une consolidation pulmonaire lobaire avec des vacuoles d’emphysème (aussi appelé « lobar vesicular gas pattern »2) mais aussi une bande de consolidation périphérique2, un épanchement pleural, une déviation médiastinale1, une interruption des bronches, une malposition du lobe pulmonaire, ainsi que dans certains cas, un pneumothorax ou un pneumomédiastin2-3.

Plusieurs hypothèses sont possibles pour expliquer l’emphysème vacuolaire lobaire et caractéristique d’une torsion pulmonaire. Certains auteurs suggèrent qu’il s’agit d’une déchirure bronchique avec accumulation de gaz par un effet de valve ou bien une rupture alvéolaire avec accumulation dans le tissu interstitiel2. Cette destruction des alvéoles est provoquée par une augmentation de pression et/ou ischémie et mène à un emphysème et une consolidation2.

L’épanchement pleural peut être primaire et engendrer une torsion ou inversement, il peut être secondaire à la torsion à cause de l’obstruction des vaisseaux2.

Même si une torsion de lobe pulmonaire reste rare, certaines races sont plus représentées : notamment les races avec un thorax profond (Lévrier Afghan) ou les brachycéphales (Carlin)1-2. Elle peut également toucher les chats2-3.

Une torsion de lobe peut toucher tous les lobes, mais les plus touchés sont le lobe pulmonaire crânial gauche (chez les petites races : Carlin 80%3) et le lobe pulmonaire moyen droit (chez les grandes races : Lévrier Afghan 78%3)1-2-3. Elle implique la torsion d’un ou plusieurs lobes en même temps2.

Quelle prise en charge proposeriez-vous ?

La torsion peut être partielle ou complète2. Elle est idiopathique ou secondaire à un épanchement pleural, une maladie pulmonaire, une néoplasie, un traumatisme ou après une intervention chirurgicale thoracique1. Benavides et al. suggère que chez les grands chiens, elle pourrait se produire par les mêmes mécanismes qu’un syndrome de dilatation – torsion gastrique3.

Lorsque la torsion est suspectée, mais douteuse à la radiographie, il est recommandé de réaliser un scanner, dans l’étude rétrospective de Park et al, le scanner a permis de diagnostiquer 97% des cas1. Il montre soit une consolidation pulmonaire, soit une atélectasie du lobe tordu, des vésicules d’emphysèmes bordées d’une consolidation périphérique, de l’épanchement pleural, un pneumothorax, une position anormale des lobes, une interruption brutale des bronches terminales, une déviation médiastinale1-2, et également des signes de nécrose pulmonaire1.

C’est l’emphysème vésiculaire centré sur un lobe et l’interruption bronchique visible en radiographie ou au scanner qui suggèrent une torsion de lobe2. L’échographie est moins utilisée, mais peut permettre de visualiser l’épanchement pleural, la consolidation du lobe périphérique ou totale, mais aussi l’interruption du flux vasculaire grâce au Doppler2-3.

Une intervention chirurgicale avec exérèse du lobe atteint est le seul traitement possible et le pronostic est bon3. D’après l’étude de Park et al, la moyenne de survie est de 1369 jours après la sortie de l’hospitalisation1. Et dans cette étude, 92% des animaux hospitalisés survivent à la chirurgie, alors que dans des études précédentes environ 50% des chiens survivaient. Cependant, des complications post-chirurgical et des récidives (torsion d’un autre lobe) peuvent se produire.

Il peut également être intéressant de faire une analyse histologique, car elle permet d’identifier certaines causes, notamment tumorales.

Bibliographie :

  1. Park KM, Grimes JA, Wallace ML, et al. Lung lobe torsion in dogs : 52 cases (2005-2017), Veterinary Surgery practice, 2018 ; 1-7
  2. Belmudes A, Cauvin E, et al. Lung lobe torsion in 15 dogs : peripheral band sign on ultrasond, Vet Radiol Ultrasound Practice ; 2020, 1-10
  3. Benavides KL, et al Lung lobe torsion in 35 dogs and 4 cats, Canadian Veterinary Journal 2019 ; 60 :60 – 66