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Suivi de la chirurgie digestive : cela se passe bien ou non ?

Dr Stéphane Bureau, dip ECVS Spécialiste en Chirurgie

Dr Stéphane Bureau, dip ECVS
Spécialiste en Chirurgie

Les principaux points à surveiller en postopératoire d’une chirurgie digestive sont les suivants :

1. déséquilibres hydro-électrolytiques;
2. réalimentation
3. complications liés à l’incision abdominale
4. complications liées au geste chirurgical sur le tube digestif

Que faire pour que le postopératoire se passe bien ?

Prise en charge de la douleur

C’est indispensable. Plusieurs protocoles sont possibles:
morphine (chien 0,1-0,5 mg/kg, SC ou IM, action 2-4h; chat 0,2 mg/kg) en postopératoire immédiat;
buprénorphine (action en 1h pour 6-8h; 1ml/15kg chez le chien, 0,3 ml/kg chez le chat), intéressante en relais de la morphine
fentanyl: utilisable en percutané, CRI (dose moyenne 3 microg/kg/h) voir patch

Usage des antibiotiques

Une chirurgie digestive qui s’est déroulée normalement est classée propre contaminée (classe II de la classification d’Altemeier) et présente donc un risque théorique moyen d’infection de 5%. Dans ce cas, l’antibioprophylaxie ne doit pas être prolongée plus de 24h. Elle repose par exemple sur amoxicilline acide clavulanique.
En cas de risque infectieux accru (CE ancien, contamination modérée), la chirurgie passe en classe III dite contaminée avec un risque théorique moyen de 10%. Elle relève encore de l’antibioprophylaxie.
Une chirurgie sale ou classe IV admet un risque théorique moyen d’infection de 20% (péritonite, CE perforant) et relève de l’antibiothérapie. Elle doit être ciblée (penser antibiogramme).
Ces éléments sont également à modérer en fonction de facteurs individuels (obésité âge, anémie, amaigrissement….), environnementaux (qualité du geste chirurgical, bloc opératoire…), liés à l’acte (durée de la chirurgie (par exemple, le risque est double pour une chirurgie de 90mn contre 60mn et il augmente de 30% pour chaque heure supplémentaire), mise en place de drains.…).
L’usage des antibiotiques ne remplace pas les principes de « bonne chirurgie ».
Les risques liés à un usage excessif des antibiotiques sont: altération de la flore microbienne commensale, antibiorésistance, cout accru des soins.

Gérer la perfusion

La quantité de soluté à apporter dépend de l’état de l’animal, des pertes hydriques subies (vomissements, durée sans s’alimenter…). De manière générale, la perfusion est faite à 10 ml/kg/h de cristalloïdes en peropératoire. La perfusion d’entretien est de 2-4ml/kg/h.
Il faut ajouter les pertes éventuelles (vomissements) et estimer son degré d’hydratation. Le peser régulièrement permet de suivre son statut hydrique, ainsi que la diurèse (1-2 ml/kg/h).
Les solutés les plus utilisés sont les isotoniques cristalloïdes: NaCl 0,9%, Ringer Lactate.
Il est essentiel d’avoir un suivi du ionogramme. Un animal avec des troubles gastro-intestinaux est fréquemment hypernatrémique et hypokaliémique (la supplémentation ne doit pas dépasser 0,5 meq/kg/h). Les signes d’une hypokaliémie sont des arythmies, une faiblesse musculaire, une polyurie. Ils sont également généralement hypochlorémiques.
Le déséquilibre acido-basique classique avec les vomissements est l’alcalose métabolique: perte des sucs gastriques acides. Elle peut s’accompagner d’une acidose respiratoire compensatrice se traduisant cliniquement par une hypoventilation. La perfusion avec apport de Cl et K est généralement suffisante pour corriger le déséquilibre.

Alimenter

L’alimentation per os doit être reprise le plut tôt possible après la chirurgie (dans les 12h). De nombreuses études ont clairement établi le lien entre le statut nutritionnel postopératoire et la mortalité / morbidité. Une alimentation précoce est essentielle pour prévenir l’atrophie des villosités et la mort des entérocytes, préserver la fonction de barrière du TD réduisant les risques de translocation bactérienne, améliorer la fonction immunitaire, réduire la durée de la phase inflammatoire.
La croyance que la présence d’aliments au niveau du site opératoire accroît les risques de déhiscence est infondée. L’aliment doit être hautement digestible, pauvre en graisses et donner à raison de 3-4 repas par jour. En cas de non alimentation spontanée, il faut stimuler l’animal en lui donnant à la main, à la seringue. Sur un animal qui présentait une anorexie avant la chirurgie, ou qui est susceptible d’en présenter une après la chirurgie, la pose d’une sonde d’alimentation est conseillée
sonde d’oesophagostomie: la sonde est posée en région cervicale gauche. Un clamp courbe est introduit dans la gueule de l’animal, placé dans l’œsophage au-delà du pharynx puis poussé latéralement afin de faire saillie sous la peau. La peau et l’œsophage sont incisés en regard de la pointe du clamp. La partie distale de la sonde est saisie entre les mords du clamp de façon à faciliter son passage entre les tissus puis ramenée dans la cavité orale. Elle est pliée, redirigée dans l’oesophage et poussée au moyen du doigt. Elle doit être suffisamment souple pour se plier mais être assez rigide pour être poussée dans l’œsophage. Un retrait partiel peut aider au retournement. Le bon positionnement de la sonde est confirmée par palpation et en observant l’orientation de la sonde au point d’émergence cervical. Une radiographie de profil permet de confirmer le placement de la sonde dans l’œsophage sans franchissement du cardia.
sonde de gastrotomie: elle est placée à gauche. Une suture en bourse est placée: la paroi gastrique est perforée à la lame en son centre et une sonde de Foley ou Petzer est introduite (préalablement passée au travers de la paroi abdominale G). La suture en bourse est serrée puis la sonde est délicatement tractée (après gonflement du ballonet pour la Foley) afin de plaquer la paroi gastrique contre la paroi abdominale. Des points sont placés entre ces deux parois. La sonde est assujetti par une suture en lacet chinois. Il est également possible de placer une sonde de plus petite taille au centre de la sonde de gastrotomie et de l’avancer dans le jéjunum pour créer une sonde de jéjunostomie.

Quelles complications sont susceptibles de survenir après une chirurgie digestive ?

Iléus

C’est une complication fréquente après une chirurgie digestive qui se traduit par une réduction de la motricité digestive. Elle est suspectée liée à une stimulation du système sympathique (activation par la laparotomie, la manipulation, la longueur de la chirurgie, l’importance de la résection). L’iléus se manifeste dans les 24h qui suivent la chirurgie (1). Les signes cliniques sont mal documentés mais sont suspectés douleur, régurgitation, vomissements, distention abdominale. Le traitement est la correction des déséquilibres hydro-électrolytiques, la recherche d’une infection.
Le métoclopramide améliore le péristaltisme du duodénum et du jéjunum, accroit l’amplitude et le tonus des contractions gastriques, réduit le tonus du sphincter pylorique, la durée de la vidange gastrique et du transit intestinal (2). Un antiacide (cimétidine, ranitidine…) permet de réduire la production d’acide gastrique et les lésions d’oesophagite (2).
Lors d’iléus marqué, un tube nasogastrique est intéressant pour permettre une décompression de l’estomac et apporter un peu d’aliment ce qui stimule la motricité.

Déhiscence

La péritonite septique est la complication la plus fréquente après une chirurgie intestinale et elle est généralement liée à une déhiscence (7-16% des cas) (1-3-4). Les facteurs influençant la cicatrisation digestive sont la technique chirurgicale, la présence d’une hypoprotéinémie, une hypotension, une urémie, une péritonite préopératoire, l’administration de corticoïdes, la présence d’une affection systémique (diabète, Cushing), un mauvais état général.
Les facteurs définis comme aggravant le risque sont la présence d’une péritonite préopératoire, une chirurgie sur CE, une hypoalbuminémie (<2,5 g/l), le recours à une transfusion, une diète prolongée de plus de 24h en post-opératoire, une hypotension (3-5). Le risque de déhiscence existe également après une biopsie.
Dans une étude sur 70 chats opérés d’une entéro/entérotomie ou gastrotomie pour lymphome digestif, une hypoalbuminémie (<2,5 g/l) est notée dans 11 cas (6). Aucun chat ne présente une déhiscence. Les complications postopératoires sont une anorexie ou une baisse d’appétit, une hyperthermie, une pancréatite, une constipation. Deux études préalables sur 25 chats rapportent également une absence de déhiscence.
Dans une étude sur 90 chiens et 25 chats, la déhiscence survient dans 14,5% des cas chez le Chien et 0% chez le chat (3).
La déhiscence se produit généralement dans les 2 à 5 jours qui suivent la chirurgie (1-4). Les signes cliniques d’une péritonite sont non spécifiques: abattement, anorexie, vomissements, douleur abdominale. Chez le chat, la douleur abdominale n’est présente que dans 38 à 62% des cas et les vomissements dans 42% des cas (7-8). Abattement et anorexie sont les signes les plus fréquents (82 et 96% des cas). Une bradycardie modérée est présente dans 16% des cas (7).
La numération formule est faiblement indicatrice d’une déhiscence. Une neutrophilie peut traduire une contamination péritonéale peropératoire. Les radiographies sont difficiles à interpréter en raison de la présence d’air liée à la chirurgie, et non spécifiques (9). Cet air gêne l’examen échographique. Chez de nombreux chiens, le site peut être inspecté dès 24h postop, mais il reste difficile de faire un diagnostic systématique. Par exemple, la présence d’un épanchement modéré proche du site n’est pas pathognomonique d’une déhiscence (1). Les modifications pariétales intestinales sont à la fois présentes lors de perforation et de cicatrisation. L’examen cytologique est une aide avec une sensibilité de 47-87% (4-9). L’épanchement contient normalement des neutrophiles et des macrophages. La présence de bactéries intracellulaires, de CE, d’un nombre très élevé de neutrophiles dégénérés est en faveur d’une péritonite (1-9). Le diagnostic peut échouer si l’abdominocentèse a été réalisée à distance de la déhiscence et en raison de l’antibioprophylaxie.
Le recours à la glycémie du liquide d’épanchement et du sang est utile pour distinguer les épanchements septiques des non septiques en préopératoire (lors de péritonite chez le chien, une différence de glycémie de plus de 20 mg/dl est diagnostique avec une sensibilité et une spécificité de 100%. Chez le chat, elle est diagnostique avec une sensibilité de 86% et une spécificité de 100%. Une différence de lactatémie de plus de 2 mmol/l est sensible et spécifique chez le chien à 100% (9)) mais cela n’a pas été étudié en postopératoire. Une étude prospective sur 10 chiens ayant eu une laparotomie exploratrice avec pose d’un drain amène aux conclusions suivantes conclut que la différence de glycémie et de lactatémie entre épanchement et sang ne peut pas être utilisée comme indicateur d’une péritonite septique dans ces conditions: à partir de J4, tous les chiens ont un écart de glycémie de plus de 20 mg/dl, et 7 chiens sur 9 ont une lactatémie inférieure de 2 mmmol/l dans l’épanchement (4).

Syndrome de l’intestin court

Il se caractérise par de la malabsorption et de la malnutrition et se produit après une résection massive de l’intestin. De manière générale, les résections proximales sont mieux tolérées que les distales. Il existe notamment des fonctions d’absorption de l’iléus qui ne peuvent pas être assumées par le jéjunum. Cliniquement, ce syndrome se manifeste après résection de plus de 50% de l’intestin grêle (1). Les causes sont une réduction de la surface muqueuse, une hypersécrétion gastrique et intestinale, une croissance bactérienne, une réduction de la durée du transit. L’animal est en diarrhée avec perte de poids.
Le traitement initial est le maintien de l’hydratation et des équilibres hydro-électrolytiques. Il est indispensable que l’animal s’alimente: la présence des nutriments est essentielle pour l’adaptation intestinale (augmentation de la taille et du nombre des entérocytes, du diamètre intestinal, de la profondeur des cryptes). Les repas sont de petits volumes, fréquents (5-10) et hautement digestibles. Si l’alimentation ne suffit pas, il faut administrer un anti-diarrhéique (ex: lopéramide) et contrôler la prolifération bactérienne par des antibiotiques (amoxycilline, tétracycline, métronidazole).
L’adaptation se fait en quelques semaines à quelques mois. En l’absence d’adaptation, une chirurgie peut être envisagée. Elles ont été utilisées expérimentalement mais aucune étude clinique n’est publiée: réalisation de valves intestinales, retournement d’un segment intestinal, interposition du colon. Chez l’homme, elles sont associées à de fortes morbidité et mortalité.
Le pronostic varie selon la localisation et la longueur du segment réséqué, le maintien du caecum, le degré d’adaptation, l’état du TD restant, la volonté du propriétaire. Dans une étude sur 10 chiens et 5 chats ayant subis une résection de 50% de l’intestin grêle, 80% des propriétaires estiment que la qualité de vie de leur animal est bonne même s’il persiste des signes cliniques.
Il existe une grande variabilité individuelle quant à la tolérance sur la longueur du segment réséqué, la vitesse de l’adaptation, et par conséquent le pronostic se définit avec le temps.

Complications liées à la sonde d’alimentation

Les complications sont le délogement (avec risque de péritonite), la cellulite, l’obstruction, un érythème.

Complications liées à la plaie de laparotomie
Les facteurs de risque d’avoir une hernie sont la pression abdominale liée à la douleur, l’incorporation de tissu graisseux entre les bords de la plaie; un mauvais choix de suture; une infection; un traitement corticoïde chronique (11).

Cas de l’intussusception

Après le traitement chirurgical d’une intussusception, il existe un risque de récidive. Elle survient dans 6 à 27% des cas (1) dans les 3 jours à 3 semaines qui suivent. Il a été recommandé l’utilisation d’anticholinergiques pour réduire l’activité spasmodique intestinale mais leur efficacité est discutée. Le butorphanol est rapporté comme réduisant le risque de récidive de 17 à 3% dans un modèle canin de transplantation rénale (12).
L’entéroplication peut se compliquer d’une obstruction intestinale. Son intérêt est donc discuté et reste à apprécier au cas par cas. Dans une étude sur 37 cas avec un suivi de 6 mois, elle est réalisée pour 20 chiens: aucun ne récidive alors que la récidive survient dans 1/17 cas (13). Par contre, 3 chiens présentent des complications: perforation du jéjunum; obstruction; strangulation.

Quels paramètres doivent être surveillés ?

Il faut évaluer l’activité de l’animal (rechercher un abattement), suivre la température, palper l’abdomen, s’inquiéter de la cause de vomissements, de l’absence d’appétit, palper la plaie de laparotomie, rechercher les bruits intestinaux. Si une péritonite est suspectée, il faut faire une NF, une ponction abdominale échoguidée avec examen cytologique

Conclusion

*La majorité des complications est liée à des erreurs techniques
mauvaise évaluation de l’ischémie, de la nécrose intestinale lors de la chirurgie
mauvais contrôle de la contamination péritonéale
mauvaise gestion de la perfusion, des déséquilibres hydro-électrolytiques et de l’alimentation
Une seconde laparotomie négative est préférable à une autopsie positive

Références
1- Brown DC. Small Intestine. In Veterinary Surgery Small Animal Vol 2, Tobias K and Johnston SA Edrs, vol 2, Elsevier Saunders 2012, pp 1513-1541
2- Cornell K. Stomach. In Veterinary Surgery Small Animal Vol 2, Tobias K and Johnston SA Edrs, vol 2, Elsevier Saunders 2012, pp 1484-1512
3- Ralphs SC, Jessen CR, Lipowitz AJ. Risk factors for leakage following intestinal anastomosis in dogs and cats: 115 cases (1991-2000). J Am Vet Med Assoc 2003;223:73-77
4- Szabo SD, Jermyn K, Neel J, Mathews KG. Evaluation of postceliotomy peritoneal drain fluid volume, cytology, and blood-to-peritoneal fluid lactate and glucose differences in normal dogs. Vet Surgery 2011;40:444-449
5- Grimes JA, Schmiedt CW, Cornell KK and coll. Identification of risk factors for septic peritonitis and failure to survive following gastrointestinal surgery in dogs. J Am Vet Med Assoc 2011;238:486-494
7- Costello MF, Drobatz KJ, Aronson LR. Underlying cause, pathophysiology abnormalities and response to treatment in cats with septic peritonitis: 51 cases (1990-2001). J Am Vet Med Assoc 2004;225:897-902
8- Parsons KJ, Owen LJ, Lee K, Tivers MS, Gregory SP. A retrospective study of surgically treated cases of septic peritonitis in the cat (2000-2007). J Sm Anim Pract 2009;50:518-524
9- Bonczynski JJ, Ludwig LL, Barton LJ and coll. Comparison of peritoneal fluid and peripheral blood pH, bicarbonate, glucose and lactate concentration as a diagnostic tool for septic peritonitis in dogs and cats. vet Surgery 2003;32:161-166
10- Dayer T, Howard J, Spreng D. Septic peritonitis from pyloric and non pyloric gastro-intestinal perforation: prognostic factors in 44 dogs and 11 cats. J Sm Anim Pract 2013;54:625-629
11-Lester S, Welsh E, Pratschke K. Complications of exploratory coeliotomy in 70 cats. J Sm Anim Pract 2004;45:351-356
12-Applewhite AA, Cornell KK, Selcer BA. Diagnosis and treatment of intussusceptions in dogs. Comp Cont Educ 2002;24,2:110-125
13- Applewhite AA, Hawthorne JC, Cornell KK. Complications of enteroplication for the prevention of intussusception recurrence in dogs: 35 cases (1989-1999). JAVMA 2001;219:1415-8