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Carcinomes mammaires canins : facteurs pronostiques et apport de la chimiothérapie adjuvante

Dr Didier Lanore Exercice exclusif de la cancérologie, ex-chargé de consultation de cancérologie de l’ENVT

Dr Didier Lanore
Exercice exclusif de la cancérologie, ex-chargé de consultation de cancérologie de l’ENVT

Les tumeurs mammaires sont très fréquentes dans l’espèce canine. Leur traitement de base repose sur l’exérèse chirurgicale. Un certain nombre de facteurs pronostiques cliniques et/ou histologiques ont été bien évalués par de nombreuses études antérieures et permettent éventuellement de décider d’un traitement adjuvant à l’exérèse chirurgicale. Parmi ceux-ci, on peut citer : le stade clinique, associé à la taille de la tumeur, la métastase ganglionnaire ou la présence d’emboles vasculaires lors de l’examen histologique. La chimiothérapie adjuvante qui a fait ses preuves en oncologie humaine, a fait l’objet de plusieurs études en médecine vétérinaire. Celles-ci ne permettent malheureusement pas de conclure quant à sa valeur. Quelques réponses sur tumeurs non opérées et mesurables ont été décrites avec la doxorubicine, la mitoxantrone, le carboplatine et le paclitaxel. Deux études ont montré un bénéfice significatif lors d’utilisation adjuvante :

  • Une première utilisant le 5-fluorouracile et le cyclophosphamide avec une survie du lot traité par chirurgie et chimiothérapie adjuvante de 24 mois contre 6 mois pour le lot ne faisant l’objet que de la chirurgie
  • La seconde comprenant du carboplatine associé ou non à un AINS, avec une survie médiane de 13 mois pour le groupe avec chimiothérapie contre 2 mois pour le groupe contrôle.

Deux autres études n’ont montré en revanche, aucun intérêt de la chimiothérapie adjuvante lors de carcinome mammaire (doxorubicine ou docetaxel et gemcitabine). Une autre étude menée par le GEO concernant l’apport de la doxorubicine lors de carcinome mammaire n’avait pas montré non plus de résultats significatifs.

Les objectifs de cette étude (1) étaient d’identifier ou de valider de nouveaux facteurs pronostiques (dont la qualité des marges chirurgicales peu étudiées jusqu’à présent) et d’évaluer le bénéfice thérapeutique de la chimiothérapie adjuvante lors de carcinomes mammaires de mauvais pronostic chez la chienne.

Photo n° 1 : L’ulcération cutanée est un facteur pronostique lors de carcinome mammaire chez la chienne : la survie médiane associée est de 3.9 mois. (Crédit Didier LANORE)

Texte

Dans cette étude, 94 chiennes ont été incluses pour la détermination des critères pronostiques. Parmi elles, un groupe de 61 chiennes supposées présenter un mauvais pronostic (embole vasculaire ou métastase ganglionnaire) a été sélectionné pour l’évaluation de la chimiothérapie adjuvante. Des emboles lymphatiques ont été mises en évidence dans 60.7% des cas, ainsi que des marges infiltrées dans 26.1% des cas.

En analyse multivariée, les facteurs suivants sont pronostiques :

  • Le stade clinique (donc la taille de la tumeur et la présence de métastases): les survies médianes décrites pour les stades cliniques 1 à 5 sont respectivement de 1226, 924, 287, 165 et 224 jours. La survie médiane des chiennes à métastases ganglionnaires est donc similaire à celle décrite par Chang (5.4 mois versus 6 mois).
  • Présence d’embole lymphatique : la survie médiane en cas d’embole est de 179 jours (environ 6 mois) contre 1098 jours en leur absence. Le pourcentage de chiennes encore en vie à 2 ans post-chirurgie est alors de 13.2%, confirmant les résultats publiés en France par Lagadic dans les années 80, où ce pourcentage était de 0%, indiquant un très mauvais pronostic.
  • Présence d’une ulcération cutanée: la survie médiane est de 118 jours lorsque celle-ci est présente contre 443 jours en son absence (p=0.004). La valeur pronostique de ce critère clinique, souvent cité dans les synthèses bibliographiques, est confirmée par cette étude, de manière chiffrée statistiquement significative
  • La qualité des marges chirurgicales évaluées par l’examen histologique : lorsque celles-ci sont infiltrées, le pronostic est sombre avec une survie médiane de 70 jours et aucune chienne encore en vie deux ans après la chirurgie. En cas de marges saines, la survie médiane est par contre de 872 jours. L’étude montre par ailleurs, que même lors des stades 1 à 3, la présence de marges infiltrées reste un facteur pronostique majeur avec une survie médiane observée de 68 jours. De plus, la présence de marges saines même lors d’embole lymphatique est encore associée à un bon pronostic avec une survie médiane de 347 jours. Les auteurs expliquent ce résultat par le fait qu’un délai semble exister entre l’observation d’embole et le développement de la métastase macroscopique. Ainsi le contrôle local (obtention de marges saines  par la chirurgie ou la radiothérapie adjuvante) en l’absence de métastase macroscopique détectable est essentiel pour permettre une survie longue et doit toujours être recherché. Enfin, la qualité des marges reste un facteur pronostique significatif même lorsque les chiennes reçoivent de la chimiothérapie (p=0.003). Il est donc fondamental de bien envoyer au laboratoire d’analyses la totalité de la pièce d’exérèse si l’on souhaite obtenir cette information  et décider ainsi  d’une radiothérapie adjuvante ou d’une réintervention élargie.

La chimiothérapie adjuvante n’a pas montré d’effet favorable (p=0.984) dans le groupe des 61 chiennes à mauvais pronostic : stade 4 ou embole lymphatique, même lors de marges saines (p=0.242). Cependant, 4 chiennes présentant des emboles lymphatiques ou une métastase ganglionnaire avec des marges saines et ayant reçu du piroxicam et 3 séances de mitoxantrone, suivies de 3 séances de carboplatine ont eu une survie médiane de 1139 jours (38 mois).

Photo n° 2 : Une taille supérieure à 5 cm, sans métastase clinique, est associée à une survie courte (médiane de 9.5 mois). (Crédit Didier LANORE)

Photo n° 2 : Une taille supérieure à 5 cm, sans métastase clinique, est associée à une survie courte (médiane de 9.5 mois). (Crédit Didier LANORE)

A retenir

  • La taille de la tumeur est un facteur pronostique avec une survie médiane de 41 mois pour les tumeurs de moins de 3 cm de diamètre et de seulement 9.5 mois lorsque la taille de celles-ci est supérieure à 5 cm.
  • La présence d’une métastase ganglionnaire est également pronostique avec une survie médiane de 5.4 mois
  • La présence d’embole lymphatique est aussi associée à une survie médiane courte, de 6 mois
  • L’ulcération cutanée correspond à une survie médiane de 3.9 mois
  • L’infiltration des marges représente un nouveau critère pronostique d’importance majeure avec une survie médiane de 2.3 mois seulement ;
  • Un bon contrôle local est essentiel pour permettre une survie longue. Celui-ci pourra être assuré par radiothérapie adjuvante ou réintervention élargie.
  • La chimiothérapie adjuvante ne semble pas efficace
  • Le protocole associant la mitoxantrone et le carboplatine de manière séquentielle avec le piroxicam, mérite cependant d’être étudié plus précisément.

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Bibliographie

  • Tran, C. M., Moore, a S., & Frimberger, a E. (2014). Surgical treatment of mammary carcinomas in dogs with or without postoperative chemotherapy. Veterinary and Comparative Oncology, 5–9. doi:10.1111/vco.12092