Paralysie laryngée : diagnostic, traitement
Stéphane Bureau
Spécialiste en Chirurgie
Diplôme Etudes Spécialisées en Chirurgie
Diplomate European College of Veterinary Surgeons
Diplôme Universitaire de Microchirurgie
Clinique Vétérinaire Alliance, Bordeaux
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La paralysie laryngée est une affection fréquente, notamment chez les chiens de grande race, se traduisant par une obstruction des voies respiratoires supérieures et une dyspnée. L’ouverture craniale du larynx est formée par les deux processus corniculés des cartilages aryténoïdes dorsalement, les processus cunéiformes, les replis ary-épiglottiques et l’épiglotte ventralement. Lors de paralysie laryngée, le muscle crico-aryténoïde dorsal, seul muscle abducteur du larynx, ne se contracte plus lors de l’inspiration : les cordes vocales et les cartilages aryténoïdes demeurent ainsi en position paramédiane obstruant mécaniquement l’entrée des voies respiratoires à sa partie la plus étroite, la rima glottidis. L’origine est une lésion du nerf laryngée récurrent qui innerve ce muscle ou une lésion directe du muscle, lésion qui peut être uni ou bilatérale. Néanmoins, une atteinte unilatérale induit rarement des manifestations cliniques.
Etiologie
L’affection peut être congénitale ou acquise. Une forme héréditaire est décrite chez le Bouvier des Flandres, le Dalmatien, le Bull Terrier, le Rottweiler, le Léonberg et le Husky. Elle est également rapportée chez un Lévrier Afghan, un Cocker Spaniel, un Teckel, un Pinscher nain. Ces animaux sont généralement présentés plus précocement (vers l’âge de 1 an) que les animaux affectés de manière acquise. La présence d’autres atteintes neurologiques est fréquente : faiblesse musculaire, mégaoesophage, hyporéflexie (Griffin and Krahwinkel Compendium 2005).
La forme acquise affecte les chiens vers l’âge de 9 ans en moyenne. Les mâles sont plus fréquemment affectés que les femelles, et les Labradors sont fréquemment cités. Certaines causes doivent être recherchées :
- masse médiastinale ou cervicale comprimant le nerf laryngé récurrent ;
- traumatisme du nerf laryngé récurrent ;
- neuropathie ou myopathie telle qu’une affection endocrine (hypothyroïdie), une myasthénie.
Elle est néanmoins le plus souvent idiopathique. Plusieurs études suggèrent que la paralysie laryngée est une manifestation d’un désordre neuro-musculaire plus général. Il manque néanmoins des données électromyographiques et pathologiques sur des nombres suffisants de cas pour confirmer cette suspicion. Le recueil de biopsies musculaires et nerveuses est indispensable, avec inclusion de groupes contrôles. Dans une étude récente (Thieman et coll Vet Surg 2007), des biopsies de muscles et de nerfs périphériques réalisées sur 11 chiens révèlent une atrophie neurogène du muscle tibial cranial et une dégénérescence axonale du nerf péroné dans tous les cas. Une autre étude (Stanley et coll Vet Surg 2010) montre que les chiens affectés de paralysie laryngée présentent également des dysfonctionnement de l’œsophage en partie cervicale et craniale, notamment pour les liquides. La plupart présente des signes neurologiques 1 an après le diagnostic.
Signes cliniques
Elle est le plus souvent observée chez des animaux de grande race, vieillissant. La progression des signes est la plus souvent lente. Les premiers signes rapportés sont une modification de la voix, une toux ou une gêne notamment lors de la déglutition, une baisse de l’endurance. Des vomissements peuvent également être rapportés.
Le bruit respiratoire devient de plus en plus net (la non abduction des cartilages aryténoïdes induit une augmentation de la résistance à l’air et crée des turbulences). Le propriétaire rapporte des épisodes de détresse respiratoire pouvant aller jusqu’à la syncope. L’exercice, l’obésité, la chaleur, l’excitation sont des éléments aggravants (l’augmentation de la vitesse de l’air circulant peut « aspirer » les aryténoïdes et les cordes vocales).
Les chiens affectés peuvent également développer un œdème pulmonaire (modification de la perméabilité des capillaires alvéolaires par variation de la pression intra-thoracique et hypoxie, secondaires à l’obstruction respiratoire haute) ou une bronchopneumonie (altération du fonctionnement de la glotte lors de la déglutition, des vomissements) qui aggrave l’atteinte respiratoire.
Diagnostic
Un bruit inspiratoire est nettement audible. L’animal peut présenter une dyspnée inspiratoire avec tirage costal. Certains chiens sont présentés en « coup de chaleur », parfois avec des températures modérées.
Une pneumonie (atteinte la plus fréquente du lobe pulmonaire cranial droit) ou un oedème pulmonaire sont recherchés. Il faut effectuer un examen cardiaque (anomalie pouvant aggraver l’intolérance à l’exercice), un examen neurologique, rechercher une myopathie. Une hypothyroïdie doit être également exclue bien que le lien entre paralysie laryngée et hypothyroïdie ne soit pas confirmé et que le traitement de cette dernière ne puisse pas permettre la récupération de la fonction laryngée.
Une radiographie thoracique est importante afin d’exclure une tumeur, une pneumonie par fausse déglutition, un mégaoesophage. Dans une étude (Gaynor et coll, JAVMA 1997), le risque de mégaoesophage est 21 fois plus important que pour les autres chiens.
L’examen laryngé est réalisé sous sédation légère sous peine de diagnostic par excès : la gueule doit à peine pouvoir être maintenue ouverte, le réflexe laryngé doit être conservé. Lorsque l’anesthésie est trop profonde, il faut attendre que l’animal se réveille pour pouvoir conclure. Une étude sur les protocoles anesthésiques (Jackson et coll Vet Surg 2004) montre que le thiopental (12-16 mg/kg) est la substance de choix pour cet examen. Un autre protocole possible est acépromazine (0,2 mg/kg IM) et butorphanol (0,4 mg/kg IM) puis induction au masque 20mn après avec de l’isoflurane. En cas de doute, du doxapram est administré IV (2-5 mg/kg) avec effet dans les 8 secondes. Les mouvements des aryténoïdes sur des chiens sains sont déprimés dans au moins 50% des cas avec des associations telles que acépromazine – thiopental, acépromazine – propofol ou kétamine – diazepam.
Pour l’examen, le chien est placé en décubitus sternal, la tête vers le haut. L’observation peut se faire en direct avec rétraction de la langue mais la pression sur l’épiglotte peut altérer le fonctionnement laryngé, ou au moyen d’un endoscope. Chez un animal normal, les aryténoïdes et les cordes vocales sont en abduction à chaque inspiration et se relâchent lors de l’expiration. L’ensemble est immobile lors de paralysie laryngée. Il peut également y avoir un œdème et une inflammation des aryténoïdes, secondaires aux traumatismes répétés à chaque inspiration. Il ne faut pas confondre un mouvement paradoxal avec une abduction active. L’absence d’abduction lors de l’inspiration induit un rétrécissement de la rima glottidis. Une inspiration forcée, rapide, crée une dépression négative au sein du larynx qui « aspire » les aryténoïdes médialement aggravant l’obstruction. Les cartilages sont ensuite « séparés » par le flux d’air lors de l’expiration. Cela induit un mouvement passif des aryténoïdes de va et vient ou mouvement paradoxal.
L’observation directe reste supérieure aux techniques d’échographie laryngée (faux négatifs en raison des mouvements paradoxaux, moindre sensibilité, courbe d’apprentissage) et endoscopie transnasale (pas de meilleure visualisation, équipement coûteux) (Radlinsky and coll Vet Surg 2009).
Traitement médical
Des stéroïdes sont administrés IV afin de réduire l’inflammation et l’oedème laryngé (dexaméthasone 0,1-0,5 mg/kg). L’hypoxie est traitée par oxygénothérapie. Le chien présenté en hyperthermie est refroidi par immersion. Une sédation légère à l’acépromazine (0,005-0,02 mg/kg) ou butorphanol (0,2-0,4 mg/kg) permet de traiter le stress lié à la suffocation, stress lui-même responsable d’une augmentation de la demande en oxygène. Enfin, en cas de détérioration de la fonction respiratoire, une trachéotomie est indiquée.
Traitement chirurgical
La chirurgie est le seul traitement approprié de la paralysie laryngée à moyen et long terme. Le but est de lever l’obstruction et de prévenir le collapsus dynamique du larynx. De nombreuses techniques ont été décrites : laryngectomie partielle (O’Brien et coll 1983) ; élargissement ventral crénelé du larynx et résection des cordes vocales (Gourley et coll 1983 ; Smith et coll 1986), latéralisation uni ou bilatérale d’un aryténoïde (Rosin et Greenwood 1982), anastomose nerveuse (Rice 1982), greffe neuromusculaire (Greenfield et coll 1988).
Récemment (Olivieri et coll Vet Surg 2009), une méthode d’aryténoïdectomie partielle au moyen d’un laser diode est rapportée sur 20 chiens : aucune sténose ne se développe dans les 6 mois et le taux de complications par fausse déglutition est semblable aux autres méthodes (10%).
La latéralisation de l’aryténoïde reste actuellement la technique recommandée et celle qui possède le moins de complications post-opératoires. L’objectif est double : augmenter le diamètre du larynx et stabiliser l’aryténoïde.
Une intervention unilatérale est suffisante pour lever les signes cliniques. L’approche ventrolatérale est préférable. L’incision cutanée est réalisée en regard du larynx, ventrale à la gouttière jugulaire. Le muscle sterno-hyoïde est récliné afin d’exposer la face latérale des cartilages thyroïde et cricoïde. Le larynx est pivoté latéralement pour exposer le muscle thyropharyngé qui est incisé sur le bord dorso-caudal du cartilage thyroïde. L’aile latérale du thyroïde est rétractée : l’articulation crico-thyroïde peut être incisée pour améliorer l’abord chirurgical mais ce n’est pas indispensable et contribue à déstabiliser le larynx. Le tissu fibreux au bord du cartilage thyroïde est disséqué afin de pénétrer dans le larynx et visualiser le processus musculaire de l’aryténoïde sur lequel s’insère le muscle crico-aryténoide. L’articulation crico-aryténoide est ouverte au ciseau de Metzembaum et disséquée à l’exception de sa partie craniale qui est conservée. Une suture (polypropylène, Prolène ND 0 ou 2/0) est placée du centre du processus musculaire de l’aryténoïde au bord caudo-dorsal du cricoïde. Elle est serrée jusqu’à mettre en tension la partie craniale de l’articulation crico-aryténoïde laissée intacte. L’abord est suturé classiquement.
Les complications potentielles sont:
- un sérome: son incidence diminue avec l’expérience du chirurgien ;
- une fragmentation du processus musculaire de l’aryténoïde avant la fibrose, aboutissant à une récidive des signes cliniques. Une nouvelle intervention controlatérale est nécessaire ;
- une toux persistance ou des fausses déglutitions. Le fait d’intervenir unilatéralement et de réduire la tension exercée sur la suture d’abduction a permis de réduire l’incidence de cette complication. Une étude rétrospective récente sur nos cas a conclut à une incidence de 6%. L’incidence rapportée dans la littérature est aux environs de 10%. Nous ne savons pas si cette complication est liée à l’ouverture permanente du larynx, à un trouble neuro-musculaire sous jacent, ou à une combinaison des deux. Cette complication peut se produire tardivement après l’intervention (plus de 1 an) ce qui peut traduire une détérioration neurologique, les chiens affectés présentant des altérations de la fonction oesophagienne. L’utilisation de métoclopramide permettrait de réduire les risques de fausse déglutition (Greenberg et coll Vet Surg 2007).
Le pronostic à moyen et long terme est excellent dans près de 90% des cas. Les facteurs associés à des complications sont un âge avancé, le placement d’un tube de trachéotomie, un mégaoesophage, une atteinte neurologique (Mac Phail et coll JAVMA 2001).
La paralysie laryngée chez le chat
C’est une affection de plus en plus fréquemment identifiée. L’âge médian des chats affectés est 11 ans. Il semble qu’il y ait des formes congénitales et idiopathiques. Les signes cliniques sont tachypnée, dyspnée, bruits respiratoires, intolérance à l’exercice, modification de la voix, toux, cyanose, hyperthermie. Le chat semble plus sensible que le chien à une atteinte unilatérale et la décision de traiter doit reposer sur l’importance des signes cliniques plutôt que sur le degré de paralysie. L’atteinte laryngée peut également se présenter conjointement avec une polyneuropathie. Prés de 25% des chats ont une broncho-pneumonie (Griffin and Krahwinkel Compendium 2005). Sur les 26 chats rapportés dans la littérature et traités chirurgicalement, 54% présentent des complications post-opératoires et 15% meurent d’une fausse déglutition. La technique est similaire au chien mais plus délicate en raison de la petite taille du larynx. Une suture unique 3-0 ou 4-0 (polypropylène) est suffisante. Dans une étude sur 10 cas (Hardie et coll Vet Surg 2009), la moyenne de survie est de 406 jours. La procédure bilatérale n’est pas conseillée en raison des risques apparents accrus de fausse déglutition.
Publications récentes :
- Olivieri M, Voghera SG, Fossum TW. Video-assisted left partial arytenoidectomy by diode laser photoablation for treatment of canine laryngeal paralysis. Vet Surg 2009;38:439-444
- Greenberg MJ, Bureau S, Monnet E. Effects of suture tension during unilateral cricoarytenoid lateralization on canine laryngeal resistance in vitro. Vet Surg 2007;36:526-532
- Hardie RJ, Gunby J, Bjorling DE. Arytenoid lateralization for treatment of laryngeal paralysis in 10 cats. Vet Surg 2009;38:445-451
- Griffin JF, Krahwinkel DJ. Laryngeal paralysis: pathophysiology, diagnosis and surgical repair. Comp Cont Educ 2005, 857-869
- Radlinsky MG, Williams J, Franck PM, Cooper TC. Comparison of three techniques for the diagnosis of laryngeal paralysis in dogs. Vet Surg 2009;38:434-438
- Stanley BJ, Hauptman JG, Fritz MC and coll. Esophageal dysfunction in dogs with idiopathic laryngeal paralysis: a controlled cohort study. Vet Surg 2010;39:139-149
- Mac Phail CM, Monnet E. Outcome of and postoperative complications in dogs undergoing surgical treatment of laryngeal paralysis: 140 cases (1985-1998). J Am Vet Med Assoc 2001;218,12:1949-1955
- Jackson AM, Tobias K, Long C and coll. Effects of various anesthetic agents on laryngeal motion during laryngoscopy in normal dogs. Vet Surg 2004;33:102-106
- Millard RP, Tobias KM. Laryngeal paralysis in dogs. Comp Cont Educ 2009:212-219