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Maladie rénale chronique du chien et du chat : prise en charge thérapeutique et gestion des complications

Dr Yannick Bongrand, dip ACVIM-IM Spécialiste Américain de Médecine Interne

Dr Yannick Bongrand, dip ACVIM-IM
Spécialiste Américain de Médecine Interne

La maladie rénale chronique (MRC) est une affection irréversible et progressive. Un traitement étiologique ne peut qu’exceptionnellement être instauré. Les objectifs de la prise en charge thérapeutique sont les suivants :

  • Prévenir et/ou contrôler les signes cliniques associés à la MRC
  • Prévenir et/ou contrôler les complications de la MRC
  • Ralentir la progression de la MRC

Les recommandations diagnostiques sont gradées de 1 à 4 selon le niveau de preuves disponibles (Evidence-Based Medicine):

  • Grade 1: plus haut niveau de preuve, recommandation se basant a minima sur les résultats d’une étude clinique randomisée et contrôlée conduite dans l’espèce cible chez des individus présentant une maladie spontanée.
  • Grade 2: recommandation se basant sur le résultat d’études randomisées et contrôlées conduite dans l’espèce cible des individus présentant une maladie spontanée mais dans un contexte expérimental (colonies de recherche, laboratoire).
  • Grade 3: recommandation se basant sur le résultat d’études contrôlées non randomisées, de multiples séries de cas, d’études de cohortes, d’études expérimentales ou d’études non contrôlées démontrant des résultats indiscutables.
  • Grade 4: recommandation se basant sur le résultat d’études réalisées dans d’autres espèces, de données physiopathologiques, d’avis d’expert, d’expérience clinique, de cas cliniques.

  1. Prise en charge nutritionnelle

La prescription d’une alimentation de type rénal est indiquée chez tout chien en stade 3 ou 4 et chez tout chat en stade 2 avancé, 3 ou 4 (grade 1). Les études rapportent une diminution significative du risque de crise urémique et une augmentation significative de la survie médiane chez les patients recevant une diète rénale (594 vs 188 jours pour les chiens, 633 vs 264 jours pour les chats) (Elliot 2000, Jacob 2002, Plantinga 2005, Ross 2006). Le bénéfice d’une diète rénale pour les chiens en stade 2 n’a pas été clairement établi. Par ailleurs, la prescription d’une diète rénale est indiquée chez tout chien atteint de glomérulopathie, quel que soit son degré d’azotémie.

Les diètes rénales présentent de multiples particularités en comparaison des diètes de type maintenance : teneur réduite en protéines, en phosphore et en sodium, teneur augmentée en vitamines B, en fibres solubles et acides gras oméga-3, absence d’effet acidifiant, densité calorique augmentée, addition d‘antioxydants, supplémentation en potassium (diètes félines uniquement).

La supplémentation en acides gras oméga-3 polyinsaturés est recommandée chez les animaux en stade 2, 3 ou 4 et chez les animaux protéinuriques (chien : grade 2, chat : grade 4) (Brown 1998, Plantinga 2005). La quantité idéale d’acides oméga-3, la valeur idéale du rapport oméga-6/oméga-3 et l’intérêt de supplémenter un animal recevant déjà une diète rénale (déjà enrichie en acides gras) ne sont pas documentés.

  1. Traitement des signes digestifs

Les signes digestifs sont traités symptomatiquement (grade 4). Les anti-H2 (famotidine, ranitidine) sont utilisés en première intention lors de manifestations de gastropathie urémique afin de lutter contre l’hyperacidité gastrique. Les nausées et les vomissements peuvent nécessiter de recourir aux anti-émétiques : métoclopramide, maropitant, odansétron. Du sucralfate peut être prescrit en cas d’ulcération digestive avérée ou suspectée.

L’administration de mirtazapine ou de cyproheptadine peut être envisagée chez le chat afin de stimuler l’appétit et de lutter contre la prise de poids. L’intérêt de l’administration de mirtazapine a été démontré par une étude récente croisée réalisée en double aveugle (Quimby 2013). L’administration de mirtazapine était dans cette étude associée à une augmentation significative de l’appétit, de l’activité et du poids et une diminution significative des vomissements en comparaison du placébo.

  • Traitement de l’hypertension artérielle

La mise en place d’un traitement antihypertenseur est indiquée dans les trois situations suivantes :

  1. Manifestations cliniques de l’hypertension (lésions rétiniennes ou signes neurologiques)
  2. Pression artérielle systolique supérieure à 200 mmHg
  3. Pression artérielle supérieure à 160/100 mmHg de manière répétable (minimum trois mesures espacées de 4 semaines si la valeur systolique est comprise entre 160 et 179 mmHg ou plus rapprochées à 1-2 semaines d’intervalle si la valeur systolique est supérieure à 180 mmHg)

L’objectif du traitement est le maintien d’une pression artérielle inférieure à 160/100 mmHg. L’amlodipine (inhibiteur calcique) constitue généralement l’antihypertenseur de première intention chez le chat, permettant souvent une diminution marquée et rapide de la pression de 30 à 60 mmHg en induisant une vasodilatation artérielle systémique (grade 2). L’administration d’amlodipine à des chats présentant une hypertension artérielle induite expérimentalement a conduit à une diminution significative de survenue de lésions rétiniennes. La dose initiale est de 0,625 ou 1,25 mg total q24h selon le poids du chat. La dose est augmentée progressivement à effet jusqu’à la dose maximale de 0,5 mg/kg/j. L’effet antihypertenseur des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) est réduit dans l’espèce féline. L’ajout d’un IECA peut être envisagé en seconde intention en cas de contrôle inadéquat de la pression artérielle malgré une dose maximale d’amlodipine.

Le contrôle de l’hypertension artérielle est souvent plus difficile dans l’espèce canine. Les IECA (énalapril ou bénazépril) constituent le traitement de première intention dans cette espèce (grade 4). Ils permettent, outre une vasodilatation artérielle systémique, une vasodilatation de l’artériole efférente rénale et ainsi une diminution de la pression intraglomérulaire. La dose de l’IECA est progressivement augmentée en fonction du suivi de la pression artérielle. L’administration d’amlodipine (0,1 à 0,2 mg/kg q24h) n’est pas recommandée en première intention chez le chien (risque d’aggravation de l’hypertension glomérulaire via l’induction d’une vasodilatation de l’artériole afférente rénale) mais cette molécule peut être ajoutée en deuxième ligne d’un IECA en cas de diminution insuffisante de la pression artérielle malgré une augmentation de dose.

La pression artérielle est typiquement réévaluée une à deux semaines après la modification du traitement, jusqu’à obtention de l’objectif thérapeutique. Une fois stabilisée, un suivi de la pression est recommandé tous les trois mois.

  1. Gestion de la protéinurie

Une intervention thérapeutique est recommandée par l’IRIS lors chez les individus en stade II à IV quand le RPCU dépasse 0,5 (chiens) ou 0,4 (chats) et chez les individus en stade I quand le RPCU dépasse 1 (chats) ou 2 (chiens). Un traitement diététique (diète rénale) associé à l’administration d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) constitue le traitement standard. L’énalapril ou le bénazépril sont généralement prescrits à la dose initiale de 0,25-0,5 mg/kg q12-24h. La dose peut être progressivement augmentée, l’objectif thérapeutique étant idéalement de diminuer le RPCU au-dessous du seuil de 0,4-0,5, ou a minima de diminuer la valeur de moitié. L’administration d’IECA est contre-indiquée chez un animal cliniquement déshydraté et/ou présentant des signes d’hypovolémie.

  1. Traitement de l’anémie

Les pertes de sang d’origine digestive peuvent être diminuées par l’administration d’un traitement gastroprotecteur : anti H2 et sucralfate. En cas de carence en fer avérée, une supplémentation sous forme de sulfate de fer (chien : 100 à 300 mg total PO q24h, chat : 50 à 100 mg total PO q24h) ou de dextran de fer (10-20 mg/kg q3-4 semaines IM) doit être instaurée.

L’anémie causée par une déficience en érythropoïétine (EPO) n’est traitée que chez les animaux symptomatiques de cette anémie (présentant typiquement un hématocrite inférieur à 20%). L’administration d’EPO recombinante humaine est généralement efficace : 100 UI/kg SC trois fois par semaine jusqu’à obtention d’un hématocrite de 30-35% chez le chien et 25-30% chez le chat, puis 50-100 UI/kg une à deux fois par semaine en maintenance (grade 3). Une supplémentation en fer doit être impérativement instaurée en parallèle. L’hématocrite est suivi une fois par semaine jusqu’à stabilisation, puis une fois par mois. La principale limite à l’utilisation de ce traitement est le risque de développement d’anticorps anti-EPO, conduisant à une aplasie de lignée rouge et ainsi à une anémie rebond sévère observée chez 25 à 30% des chats traités. Les autres complications rapportées sont les suivantes : hypertension artérielle, polycythémie, convulsions, vomissements, réactions cutanées, fièvre, arthralgie.

La darbépoïétine est un dérivé hyperglycosylé de l’EPO recombinante humaine dont la durée de demi-vie est prolongée. L’administration de cette forme d’EPO serait associée à un risque diminué de développement d’anticorps anti-EPO. Une étude (Chalhoub 2012) rapporte l’utilisation de darbépoïétine chez 25 chats en maladie rénale chronique. Une réponse adéquate a été observée chez 56% des chats. L’auteur recommande une posologie de 1 µg/kg SC une fois par semaine. La fréquence d’administration peut par la suite être diminuée à une fois toutes les deux semaines une fois l’objectif thérapeutique atteint.

  1. Maintien de l’état d’hydratation

Les chats en maladie rénale chronique sont particulièrement sujets à une déshydratation chronique, probablement du fait d’une polydipsie compensatrice insuffisante. Cette déshydratation peut participer aux signes cliniques (anorexie, léthargie, constipation)  et favoriser la progression de la maladie rénale. La consommation d’eau doit être favorisée (accès à de l’eau fraiche en permanence, fontaine à eau, robinet…). L’administration de fluides par voie sous-cutanée doit être envisagée chez les chats présentant une déshydratation chronique (grade 4) : Ringer Lactate à raison de 70-150 mL SC tous les 1 à 3 jours.

  • Contrôle de la kaliémie

Une supplémentation orale en potassium est recommandée chez les chats présentant une hypokaliémie (<3,5 mmol/L) (grade 4). Le gluconate de potassium (2 à 6 mEq total /jour) ou le citrate de potassium (40-60 mg/kg/j en 2-3 prises) sont recommandés. Le citrate de potassium présente l’avantage de présenter des propriétés alcalinisantes. Le chlorure de potassium doit être évité à cause de son effet acidifiant. Un suivi de la kaliémie tous les 7 à 14 jours est indiqué jusqu’à stabilisation.

  • Traitement de l’acidose métabolique

L’administration d’une diète rénale constitue la première étape du traitement d’une acidose métabolique. En cas de réponse insuffisante, l’ajout de bicarbonate de sodium (8-12 mg/kg q8-12h PO) ou de citrate de potassium (40-60 mg/kg q8-12h PO) est recommandé (grade 4). La réponse au traitement alcalinisant est évaluée par un contrôle des gaz sanguins 10 à 14 jours après la mise en place du traitement ou l’ajustement de la dose.

  1. Contrôle de l’hyperphosphorémie

Le contrôle de la phosphorémie est indiqué chez tous les patients azotémiques : stade IRIS 2 à 4 (chien : grade 2, chat : grade 4). L’objectif du traitement est de maintenir la phosphorémie en dessous d’une valeur seuil, variable selon de stade IRIS :

Stade IRIS Valeur cible de la phosphorémie
mg/dL mmol/L
Stade IRIS 2 3,5-4,5 1,13-1,45
Stade IRIS 3 3,5-5 1,13-1,6
Stade IRIS 4 3,5-6 1,13-1,9

La première étape thérapeutique constitue à administrer une diète rénale, réduite en phosphore. Cette approche alimentaire conduire à un contrôle satisfaisant de la phosphorémie pour les patients en stade IRIS 2 et 3. Un contrôle de la phosphorémie est indiqué 4 à 6 semaines après la mise en place de l’alimentation rénale. L’administration d’un chélateur du phosphore est indiquée en cas de contrôle insuffisant de la phosphorémie. Les sels d’aluminium (hydroxyde d’aluminium, carbonate d’aluminium, oxyde d’aluminium : 30-100 mg/kg/j), les sels de calcium (acétate de calcium : 60-90 mg/kg/j ; carbonate de calcium : 90-150 mg/kg/j) et le carbonate de lanthanum (30 mg/kg/j) constituent les principaux chélateurs disponibles. Une toxicité à l’aluminium (signes neurologiques, microcytose) peut être observée chez  les patients traités avec de fortes doses de sels d’aluminium, tandis qu’il existe un risque d’hypercalcémie lors d’administration de sels de calcium (particulièrement lors d’administration concomitante de calcitriol).

  1. Administration de calcitriol

L’administration de calcitriol est indiquée chez les chiens en stade IRIS 3 ou 4 (grade 1). En effet, une étude randomisée (Polzin 2005) a démontré que les chiens en stade 3 ou 4 recevant du calcitriol présentaient une augmentation significative de la survie en comparaison des chiens n’en recevant pas. Une étude similaire chez le chat n’a pas permis de mettre en évidence une différence significative de survie (grade 4 chez le chat). Une diminution préalable de la phosphorémie doit être entreprise avant de débuter l’administration de calcitriol. Un suivi rapproché de la phosphorémie et idéalement de la calcémie ionisée et de la concentration en PTH est indiqué chez les animaux recevant du calcitriol étant donné le risque d’hypercalcémie et d’aggravation de l’hyperphosphorémie. L’objectif est d’obtenir une diminution voir une normalisation de la concentration en PTH, sans conduire à une hypercalcémie. Une dose initiale de calcitriol de 2-2,5 ng/kg q24h est recommandée. Le calcitriol doit être donné à jeun (par exemple le soir sur un estomac vide) afin de limiter l’absorption de calcium. En cas de développement d’une hypercalcémie malgré cette précaution, il est possible de doubler la dose mais en espaçant les administrations afin de limiter la stimulation de l’absorption digestive de calcitriol.

REFERENCES
Brown SA, Brown CA, Crowell WA, Barsanti JA, Allen T, Cowell C, Finco DR. Beneficial effects of chronic administration of dietary omega-3 polyunsaturated fatty acids in dogs with renal insufficiency. J Lab Clin Med. 1998 May;131(5):447-55.
Chalhoub S, Langston CE, Farrelly J. The use of darbepoetin to stimulate erythropoiesis in anemia of chronic kidney disease in cats: 25 cases. J Vet Intern Med. 2012 Mar-Apr;26(2):363-9.
Elliott J, Rawlings JM, Markwell PJ, Barber PJ. Survival of cats with naturally occurring chronic renal failure: effect of dietary management. J Small Anim Pract. 2000 Jun;41(6):235-42.
Plantinga EA, Everts H, Kastelein AM, Beynen AC. Retrospective study of the survival of cats with acquired chronic renal insufficiency offered different commercial diets. Vet Rec. 2005 Aug 13;157(7):185-7.
Polzin DJ. Chronic kidney disease in small animals. Vet Clin North Am Small Anim Pract. 2011 Jan;41(1):15-30.
Polzin DJ. Evidence-based step-wise approach to managing chronic kidney disease in dogs and cats. J Vet Emerg Crit Care (San Antonio). 2013 Mar-Apr;23(2):205-15.
Polzin D, Ross S, Osborne C, Lulich J, Swanson L. Clinical benefit of calcitriol in canine chronic kidney disease. ACVIM Forum, June 2005.
Quimby JM1, Lunn KF. Mirtazapine as an appetite stimulant and anti-emetic in cats with chronic kidney disease: a masked placebo-controlled crossover clinical trial. Vet J. 2013 Sep;197(3):651-5.
Ross SJ, Osborne CA, Kirk CA, Lowry SR, Koehler LA, Polzin DJ. Clinical evaluation of dietary modification for treatment of spontaneous chronic kidney disease in cats. J Am Vet Med Assoc. 2006 Sep 15;229(6):949-57.