Etude d’un cas de torsion de testicule cryptorchide abdominal tumoral chez un chien.
& Chloé JOB, DV
COMMEMORATIFS et ANAMNESE :
L’animal est correctement vacciné et vermifugé et aucun antécédent chirurgical ou médical n’est rapporté par les propriétaires hormis une cryptorchidie du testicule droit.
Vingt-quatre heures avant la consultation, une anorexie et une adypsie ainsi que des tremblements et un inconfort digestif ont été notés par les propriétaires. Le traitement initial mis en place par le vétérinaire traitant est constitué d’une administration de butylscopolamine et dypirone (Estocelan®) et une antibiothérapie large spectre (Noroclav® : amoxicilline et acide clavulanique). L’animal est ensuite référé en urgence pour la prise en charge du cas.
EXAMEN CLINIQUE INITIAL
À son arrivée, l’examen clinique initial révèle un syndrome abdominal aigu. La palpation abdominale est difficile et entraîne une réaction violente de l’animal lors de la palpation du cadran caudal droit. A ce niveau, une masse ferme, mobilisable et douloureuse est palpée. Une cryptorchidie du testicule droit est objectivée, le testicule gauche est en place, de taille et de consistance normales. Le reste de l’examen clinique ne met pas en évidence d’autre anomalie.
EXAMENS COMPLEMENTAIRES
Une radiographie abdominale (photo 1) sans préparation est réalisée et montre une discrète perte de contraste caudalement à l’estomac, évoquant un foyer de péritonite, de carcinomateuse ou un épanchement localisé. On observe également une masse tissulaire, homogène, ovale à bords nets, de 10 cm de diamètre, crânialement à la vessie. A ce stade, l’aspect radiographique est compatible avec un testicule ectopique, un processus tumoral primaire d’origine lymphatique ou intestinale (lymphome par exemple) ou un kyste paraprostatique. L’ectopie testiculaire est considérée en priorité en raison de la cryptorchidie observée.
Une échographie abdominale est réalisée (photo 2) et révèle une petite quantité d’épanchement anéchogène dans la région de la rate ainsi qu’une masse péritonéale caudale, de 7 cm de diamètre, très hétérogène et hypoéchogène. La masse n’étant reliée à aucun organe abdominal en particulier, elle représente plus probablement le testicule droit ectopique. L’examen Doppler et la présence d’un épanchement péritonéal sont compatibles avec une torsion testiculaire. La modification sévère de l’échostructure du testicule évoque un processus néoplasique sous-jacent ou des remaniements inflammatoires ou nécrotiques secondaires à la torsion. Une cytoponction échoguidée est donc réalisée lors de l’examen. L’analyse cytologique confirme l’origine testiculaire de la masse et montre des atypies cytonucléaires en faveur d’un processus tumoral malin avec un phénomène de lyse et de nécrose important.
Un bilan préopératoire, incluant un bilan biochimique et une numération-formule sanguine, numération réticulocytaire, est réalisé. La seule anomalie décelée est une valeur d’urémie en dessous des valeurs usuelles pouvant être expliquée par un jeun complet de l’animal depuis 24 heures. La numération-formule sanguine révèle une anémie microcytaire normochrome non régénérative ainsi qu’une leucocytose, une neutrophilie et une monocytose.
Dans le cadre de la gestion de l’abdomen aigu, une prise en charge chirurgicale est recommandée. Une laparotomie xiphopubienne est réalisée et permet la mise en évidence d’une masse ferme, hémorragique et nécrotique, au pôle caudal du rein droit. Un épanchement hémorragique en petite quantité est noté. Une torsion testiculaire avec un infarcissement important du testicule est observée. Une augmentation importante de la taille du testicule est également notée. Une torsion du cordon testiculaire est visualisée, caractérisée par l’occlusion du pôle vasculaire (artère testiculaire) par l’enroulement du canal déférent (photos 3 et 4).
L’artère testiculaire, le canal déférent et ses vaisseaux l’accompagnant sont disséqués, individualisés, ligaturés (ligature individuelle Monocryl®[H] dec 2) puis sectionnés en prenant garde de ne pas détordre le testicule (photos 5, 6 et 7). Le testicule est ensuite analysé histologiquement (photo 8). Une castration par la technique conventionnelle à cordon découvert est réalisée sur le testicule eutopique gauche.
*
Le diagnostic de tumeur testiculaire de type séminome est établi par l’examen histopathologique.
DISCUSSION
L’originalité de ce cas repose sur la découverte fortuite d’une tumorisation d’un testicule cryptorchide dans le cadre d’un syndrome abdominal aiguë déclenché suite à la torsion de ce testicule tumoral.
Les tumeurs testiculaires représentent 90 % des tumeurs de l’appareil génital mâle [1,2]. Les chiens cryptorchides présentent un risque plus de 10 fois plus élevé de développer une tumeur testiculaire que les autres [1,2]. C’est la raison pour laquelle la castration précoce est préconisée chez ces animaux. Les torsions testiculaires sont fréquemment observées sur des testicules cryptorchides, jusqu’à 90 % des cas de torsion testiculaire décrits et la présence d’une tumeur sur le testicule subissant la torsion est fréquente [3,4]. Les races prédisposées semblent être le Boxer, le Berger allemand, le Lévrier afghans, les Braque de Weimar et le Berger de Shetland [3,4]. Le diagnostic de tumeur testiculaire est établi essentiellement par la clinique (âge de l’animal, syndrome paranéoplasique de féminisation, cryptorchidie…) et confirmé par imagerie, analyses cytologique et histologique de la masse après sa résection.
Lors de torsion testiculaire, le diagnostic définitif est délicat et repose sur les examens d’imagerie et plus particulièrement l’échographie : présence d’une masse abdominale caudale hyperéchogène avec des zones hypoéchogènes [5-7]. L’examen Doppler permet d’affiner le diagnostic en visualisant le flux sanguin résiduel. Le scanner, en revanche, apporte moins d’information que l’examen Doppler [3,5]. Cependant, la suspicion doit être clinique : un abdomen aigu accompagné d’anorexie, de vomissement et parfois d’état de choc avec de la fièvre sur un animal cryptorchide est évocateur d’une torsion testiculaire. Le diagnostic d’une tumorisation concomittante du testicule tordu n’est établi avec certitude qu’après examen histologique. La réalisation de cytoponction de la masse permet parfois un diagnostic plus précoce, mais la sensibilité de l’examen est limitée par la présence d’une lésion ischémique, hémorragique, nécrotique sévère du testicule.
Le traitement de ces affections est exclusivement chirurgical. Elle peut être pratiquée à l’occasion d’une laparotomie xiphopubienne ou par cœlioscopie [8]. Une exploration abdominale complète est recommandée et la visualisation du testicule cryptorchide permet d’établir le diagnostic de certitude. Lors de torsion du cordon spermatique, l’apport vasculaire au testicule est compromis, l’ischémie et l’hypoxie tissulaire qui en résulte conduisent à la production au sein du testicule d’un grand nombre de médiateurs inflammatoires, déchets et toxines. Ces éléments sont susceptibles d’être relargués brutalement et massivement dans l’organisme lorsque la torsion est levée par inadvertance au cours de l’intervention. L’état choc qui en résulte engage souvent le pronostic vital en raison du syndrome inflammatoire à réponse systémique qui se met en place et qui peut aboutir à une défaillance multi-organiques et au décès brutal de l’animal.
Les précautions à prendre lors de cette intervention sont donc d’isoler le testicule de la circulation systémique en ligaturant les vaisseaux (artère testiculaire, vaisseaux accompagnant le canal déférent) préalablement à toute manipulation du testicule, puis de les sectionner. La surveillance per et post-opératoire est importante durant les 48 premières heures afin de déceler au plus vite un état de choc dû à la libération d’endotoxines. Au-delà, les soins postopératoires sont classiques, basés sur des soins de plaie et une analgésie adaptée. Une antibioprophylaxie stricte est mise en œuvre au moment de l’intervention et l’administration d’antibiotique n’est pas poursuivie au-delà de la période opératoire.
A LIRE
[1] Hayes HM, Pendergrass TW. Canine testicular tumors : epidemiologic features of 410 dogs. Int J Cancer. 1976 ; 18 : 482-7.
[2] Liao AT et coll. A 12-years retrospective study of canine testicular tumors. Journal Veterinary Medicine Science. 2009 ; 71 ; 919-923.
[3] Miyabayashi T et coll. Ultrasonographic appearance of torsion of a testicular seminoma in a cryptorchid dog. Journal of Small Animal Practice. 1990 ; 31 : 401-3.
[4] Pearson H, Kelly DF. Testicular torsion in the dog: a review of 13 cases. The Veterinary Record. 1975 ; 97: 200-4.
[5] Hecht S et coll. Ultrasound diagnosis : intra-abdominal torsion of a non-neoplastic testicle in a cryptorchid dog. Veterinary Radiology & Ultrasound. 2004 ; 45 : 58-61.
[6] Mevorach RA et coll. Color Doppler ultrasound compared to a radionuclide scanning of spermatic cord torsion in a canine model. 1991 ; The Journal of Urology. 145 ; 428-433.
[7] Quartuccio M et coll. Sertoli cell tumors associated with feminizing syndrome and spermatic cord torsion in two cryptorchid dogs. Journal of Veterinary Science. 2012 ; 13 (2) : 207-9.
[8] Miller NA et coll. Use of laparoscopic-assisted cryptorchidectomy in dogs and cats. 2004 ; JAVMA. 224 ; 875-8 .
LEGENDES
Photo 1 : Radiographie abdominale (vue latérale droite) : effet de masse en partie caudale ventrale de l’abdomen (Source : Clinique vétérinaire ALLIANCE).
# : Masse abdominale compatible avec un testicule ectopique, un processus tumoral primaire d’origine lymphatique ou intestinale (lymphome par exemple) ou un kyste paraprostatique
Photo 2 : Echographie abdominale : masse abdominale droite de 7 cm de diamètre, hypoéchogène et hétérogène (Source : Clinique vétérinaire ALLIANCE)
# : cordon testiculaire.
Photo 3 : Torsion du testicule droit – vue peropératoire (*) pôle crânial de la vessie ; (#) testicule droit ectopique (Source : Clinique vétérinaire ALLIANCE).
Photo 4 : Vue peropératoire-strangulation de l’artère testiculaire par enroulement du canal déférent (Source : Clinique vétérinaire ALLIANCE).
Photo 5 : Double ligature de l’artère testiculaire (Source : Clinique vétérinaire ALLIANCE)
Photo 6 : ligature individuelle du canal déferent (*) et du ligament testiculaire (gubernaculum testis) et de l’artère testiculaire (#) (Source : Clinique vétérinaire ALLIANCE)
Photo 7 : vue peropératoire après retrait du testicule (Source : Clinique vétérinaire ALLIANCE)
Photo 8 : Testicule ectopique excisé (Source : Clinique vétérinaire ALLIANCE)